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​Ryszard Kapuściński, Œuvres, traduit du polonais par Véronique Patte, préface par Pierre Assouline, Flammarion, "Mille & une pages", 2014, 1477 p.

"Sorcier suprême du reportage" (John le Carré), Ryszard Kapuściński a été traduit dans le monde entier et porté aux nues par Gabriel García Márquez et par Salman Rushdie. Depuis sa mort, en 2007, on ne cesse de redécouvrir le reporter exceptionnel qu'il était. Ce volume rassemble ses plus grands textes ainsi que des extraits d'un recueil de jeunesse inédit en français.

Lire "Kapu", c'est rencontrer non seulement un formidable témoin du 20e siècle, observateur inlassable des conflits et des révolutions (de la guerre civile en Angola à la chute des régimes dictatoriaux en Éthiopie ou en Iran, des soubresauts de l'Amérique latine à la désintégration du bloc soviétique), un homme de terrain au regard d'ethnologue, qui a pour maîtres mots curiosité et empathie, mais aussi un écrivain de talent, explorateur passionné de la frontière entre écriture documentaire et littérature, dans la lignée d'un Albert Londres ou d'un Truman Capote.

(4e de couverture)

Le texte intitulé La Guerre du foot m'a particulièrement plus. Ryszard Kapuściński y évoque la guerre qui éclate entre le Honduras et le Salvador, en 1969. Sur le champ de bataille, rampant au sol pour échapper aux tirs de mitraillette, il fait la connaissance d'un soldat hondurien. Ce paysan ne comprend rien aux raisons de cette guerre, et accepte d'accompagner, loin de la ligne de front, ce reporter étranger qui lui permettra de quitter la bataille sans avoir d'ennuis. Mais, pauvre, il réalise soudain que ce qui manque cruellement à sa famille est présent en quantité dans l'armée : les chaussures. Il décide de faire marche arrière, de récupérer les chaussures de ses camarades morts au combat, et de les enterrer pour les récupérer lorsque la guerre sera finie. Cet épisode inspire ces réflexions à Kapuściński :

 

La guerre devient un spectacle dès qu'elle est vue à distance et qu'elle est remaniée par des professionnels dans une salle de montage. En réalité le soldat ne voit pas plus loin que le bout de son nez, sa vue est bouchée par le sable ou voilée par la sueur, il tire à l'aveuglette et s'accroche à la terre comme une taupe. Il a peur avant tout.

 

La peur va de pair avec l'absence de visibilité sur l'ensemble des opérations militaires en cours. Le soldat n'est qu'un pion, mû par d'autres sur un échiquier dont il ne connaît pas l'étendue. Son rapport au temps s'en trouve modifié : son horizon n'est que de quelques heures car "il ne sait pas quel sera le prochain ordre qu'il aura à exécuter et ce qui va se passer dans une heure" et que "la guerre l'expose constamment à la mort". Surtout, ce rapport au temps et cette peur devant une mort qui peut frapper à chaque instant s'inscrivent dans son esprit : "Une telle expérience se grave profondément dans sa mémoire. Durant ses vieux jours, l'homme repense de plus en plus souvent à ces épreuves, comme si le temps qui passe faisait remonter à la surface les souvenirs du front, comme s'il avait passé toute sa vie dans les tranchées."

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